Canada US relations

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Qu’adviendra-t-il des relations canado-américaines après le 3 novembre?

Les relations Canada-États-Unis ont rarement atteint un niveau aussi bas depuis que Donald Trump est au pouvoir. Mais qu’il obtienne ou non un deuxième mandat à la Maison-Blanche, la suite ne se passera pas sans heurts pour le pays. Et Ottawa doit s’y préparer.

Des drapeaux canadien et américain endommagés flottent dans la municipalité riveraine de Morrisburg, en Ontario

Marc Godbout (accéder à la page de l’auteur)

À la hauteur de Morrisburg sur la berge ontarienne, l’État de New York est facilement visible tellement la Voie maritime du Saint-Laurent y est étroite.

Tout près de la marina flottent deux drapeaux fatigués. L’unifolié est déchiré, celui des États-Unis effiloché. La tentation est forte d’y voir l’image de l’état d’une relation entre deux voisins.

Nous sommes si près. Et pourtant avec Trump et la pandémie, j’ai l’impression que nous sommes maintenant si loin , raconte Ann Rodney.

Cette grand-mère venue profiter du paysage, le temps d’un après-midi, est préoccupée. Je crains que nos relations ne reviennent jamais à ce qu’elles étaient avant. J’espère que je me trompe.

Une femme regarde de l’autre côté de la Voie maritime du Saint-Laurent où se trouve l’État de New York.

PHOTO : RADIO-CANADA / MARC GODBOUT

Il reste une cinquantaine de jours à la campagne. Autant de jours pendant lesquels le gouvernement Trudeau doit s’imposer une discipline de fer. L’ex-diplomate canadien Colin Robertson insiste sur la nécessité pour Ottawa de marcher sur la pointe des pieds jusqu’à la fin de la campagne présidentielle.

Il est primordial que le gouvernement canadien garde un profil très bas, car toute perception d’une intervention en faveur des démocrates va se retourner contre lui. Trump n’hésitera pas à s’en prendre au Canada. 

Ottawa doit donc éviter à tout prix le genre d’incident survenu avant l’élection présidentielle de 2000.

Les remarques faites à l’époque par l’ancien ambassadeur canadien à Washington, Raymond Chrétien, avaient contribué à miner le terrain des relations avec l’administration Bush.

Raymond Chrétien avait exprimé sa préférence pour Al Gore, le candidat démocrate. Or c’est George W. Bush qui l’avait emporté.

Notre jeu diplomatique devra être au sommet de sa forme comme jamais auparavant , avertit Colin Robertson. Et cela ne vaut pas juste pour cette campagne: Nous devrions nous préparer dès maintenant à un avenir beaucoup plus complexe, et ne pas attendre de voir qui gagnera en novembre. 

Une affiche située près de Cornwall en Ontario indique la direction à prendre pour se rendre aux États-Unis.

PHOTO : RADIO-CANADA / MARC GODBOUT

America First  aura défini la dynamique canado-américaine depuis bientôt quatre ans.

Le Canada a fait de grands efforts pour contrarier le moins possible le président Trump et pour éviter d’en faire un conflit personnel alors que l’avenir de l’ALENA se retrouvait en jeu.

Il va de soi que certaines politiques de Joe Biden s’alignent sur celles des libéraux de Justin Trudeau en matière de changement climatique notamment. Contrairement à Donald Trump, le Canada y trouverait aussi un promoteur du multilatéralisme.

Même si, aux yeux de plusieurs, une nouvelle administration à Washington représenterait une bouffée d’air frais à Ottawa, l’élection de Joe Biden aurait aussi des conséquences pour le Canada.

Le contexte de la pandémie est venu amplifier la défense des intérêts économiques américains en pleine élection présidentielle.

Si les approches de Donald Trump et de Joe Biden sont clairement différentes, tous deux promettent des politiques protectionnistes aux électeurs américains nostalgiques d’une économie qui n’existe plus.

Sur le plan du commerce, il n’y a pas de différence de fond , souligne l’avocat Peter Clark.

Joe Biden permettrait de rétablir la civilité et la stabilité dans les relations canado-américaines. Mais au-delà de cela, on ne doit pas se faire d’illusion et placer trop d’espoirs , considère ce négociateur commercial chevronné.

Nous aurons droit à la même pression sous une administration démocrate. Il ne faut pas s’attendre à un assouplissement parce que le portrait de l’emploi aux États-Unis ne va pas se redresser, du moins à court terme.

Peter Clark, négociateur commercial

L’histoire a maintes fois démontré que le Parti démocrate donne davantage dans le protectionnisme que le Parti républicain.

Made in All America, le plan démocrate, prévoit 400 milliards de dollars supplémentaires sur quatre ans pour l’achat de biens et services produits aux États-Unis. Priorité à la production nationale avec pour objectif la création de cinq millions de nouveaux emplois.

Relocalisations, protection contre les pratiques commerciales injustes, le candidat démocrate reprend certains des arguments économiques sur lesquels Donald Trump avait bâti sa victoire en 2016.

La campagne démocrate n’épargne pas le Canada. Joe Biden fait déjà la promotion de cette idée : Nous travaillerons avec les ports américains et les syndicats pour faire en sorte que les cargaisons à destination des États-Unis soient déchargées aux États-Unis et non dans les ports canadiens afin d’éviter les taxes portuaires. 

À Morrisburg, le passage des cargos et vraquiers sur la Voie maritime rappelle l’importance de ce maillon pour l’économie des deux pays.

Mais sur le quai, Jennifer Schearer fait part de sa perception face à la relation actuelle. J’ai l’impression qu’il y a un mur. On dirait que c’est de plus en plus pour soi d’abord chez ces deux voisins .

Elle se questionne en notant que le nouvel ALENA n’a ni empêché General Motors de fermer son usine d’Oshawa ni le président Trump de réimposer des tarifs punitifs sur les importations d’aluminium canadien. Alors à quoi sert cette relation? 

Relation spéciale?

Le spécialiste des affaires internationales David Carment y va de cette lecture : la suggestion que le Canada et les États-Unis ont toujours cette relation spéciale semble dépassée, voire naïve .

À son avis, les années Trump ont provoqué une transformation qui va persister  alors que la pandémie a démontré la nécessité pour le Canada d’entreprendre une sérieuse réflexion sur ses perspectives économiques et géopolitiques .

David Carment croit fermement qu’Ottawa doit revoir son approche vieille de trois décennies et apprendre à mieux naviguer dans une économie politique internationale instable, sans dépendre autant des États-Unis qui sont imprévisibles et peu fiables .

Sans aller aussi loin, l’ex-diplomate Colin Robertson prévoit qu’Ottawa sera bientôt confronté à des choix difficiles, même avec un nouveau gouvernement à Washington.

Pour les Américains, le point le plus important reste la défense et la sécurité. Ils s’attendent à beaucoup plus du Canada.

Colin Roberston, Institut canadien des affaires mondiales

Colin Robertson, qui a passé une bonne partie de sa carrière aux États-Unis, prévient que ces attentes ne changeront pas sous une présidence Biden. Il sera tout aussi déterminé à faire pression sur le Canada pour qu’il dépense davantage.

Cela ne peut faire autrement que d’exposer les lacunes canadiennes dans la défense du continent alors que des milliards sont nécessaires pour des infrastructures. Par exemple, le Système d’alerte du Nord doit être modernisé assez rapidement. Et en tardant à investir, Ottawa court le danger d’exaspérer Washington.

Les Russes testent notre défense et la Chine met déjà en oeuvre sa stratégie dans l’Arctique . Selon Colin Robertson, la stratégie de défense du gouvernement Trudeau de 2017 est déjà dépassée et sa politique pour l’Arctique annoncée l’an dernier est grandement inadéquate. Il n’est pas le seul à le croire.

Une des stations radars du Système d’alerte du nord dans l’Arctique canadien.

PHOTO : RAYTHEON CANADA LIMITED

Le pays est-il prêt à l’issue du vote de novembre? Il dispose au moins de l’expérience des quatre dernières années.

Elles ont amené le gouvernement Trudeau, les provinces et différents acteurs à déployer des efforts colossaux pour préserver les liens entre le Canada et les États-Unis, en contournant la Maison-Blanche.

Quatre années supplémentaires de Donald Trump laisseraient des relations instables et incertaines.

Une victoire de Biden ne garantit pas pour autant le retour des beaux jours de cette relation, dans le contexte d’une Amérique divisée et d’un monde fort différent.